Lutte contre la migration africaine

Le business migratoire
Kongokonferenz 1884 / Franz.Karikatur - Congo Conference 1884/ French caricature -
Par Samir ABI, Visons Solitaires (Togo)

5 mai 2016

C’est l’affaire qui rapporte le plus à l’heure actuelle : le business migratoire. Des réseaux mafieux en Italie aux passeurs libyens en passant par les sociétés de sécurité à Calais en France ou sous traitant dans différents pays d’Europe avec les opérations du FRONTEX, le système est bien huilé. Les Etats ne sont plus du reste dans ce nouveau business florissant. Après le chantage turc des 6 milliards d’euro c’est au tour du Niger de demander 1 milliard d’euro pour contribuer à lutter contre la migration clandestine[1]. Comme dans toute négociation internationale le poids du pays intervient dans la suite donnée à toute demande et la réponse de l’Union Européenne ne s’est pas faite attendre. Arguant des 20 milliards d’euro donnés annuellement aux 54 pays africains comme aide publique au développement et de la goutte des 1,8 milliards du fonds fiduciaire qui ne cesse de meubler le discours européen ces derniers mois. En réalité l’Europe continue un vieux jeu déjà expérimenté avec les pays du Maghreb et la Libye. Kadhafi, au dernier moment de sa gloire, lors du sommet Europe Afrique à Syrte en novembre 2010, s’était déjà servi des migrants comme instrument de chantage en se présentant comme le seul rempart au déferlement des subsahariens en Europe et en demandant 5 milliards d’euro pour les basses besognes[2]. La suite de l’histoire, tout le monde la connait. Le drame dans l’histoire est qu’on se refuse de nommer ce business auquel les Etats se livrent au dos des migrants de son vrai nom : Trafic d’être humain. En effet autant que les réseaux mafieux, les Etats s’adonnent à un honteux marchandage au détriment de lois internationales protégeant les droits humains à la mobilité et à l’asile. Marchander la liberté de mobilité des hommes n’est rien d’autre que du trafic même si on essai de le présenter comme la solution au drame en Méditerranée.

Pour tout humaniste cette solution, qui met l’argent au dessus des libertés humaines, ne peut-être une solution viable. Même si ce discours peine à être entendu il reste toujours nécessaire de rappeler que la meilleure solution pour éviter des morts dans les mers aux frontières reste l’établissement d’une véritable politique de libre circulation. Si les migrants peuvent se payer leur voyage dans les déserts du Sahara comme au Mexique, ou pour joindre la Grèce c’est qu’ils peuvent se payer un séjour si on leur donne la possibilité de pouvoir se rendre librement dans un pays. Tous les espaces de libre circulation aussi bien en Afrique de l’Ouest, qu’en Europe ont démontré que l’ouverture des frontières n’est pas synonyme d’invasion mais multiplie les opportunités de développement pour les hommes comme pour les pays. Les Français sont autant en Belgique pour poursuivre leurs études que les Belges en Allemagne ou au Luxembourg à la recherche d’un emploi. Les nigérians parcourent aussi bien le corridor Lagos Abidjan que les ivoiriens. Depuis trente ans ces expériences de libre circulation même partielle sont là pour nous prouver que nous pouvons construire un monde autour de la libre mobilité. Le nouveau discours sécuritaire qui présente la fermeture des frontières comme un gage de lutte contre le terrorisme permet juste de cacher la responsabilité profonde des Etats européens dans l’augmentation de groupes extrémistes au sein des populations nées en Europe mais qu’ils n’ont pas su intégrer. Même problème en Afrique où le lot des terroristes se retrouve dans les groupes discriminés des touaregs et des peuhls. Cela nous ramène au vrai débat sur la sécurité sociale et l’inclusion comme seule gage de la sécurité pour tous. Malheureusement à l’heure de l’économisme et de la religion du tout marchand, il faut que cela paye pour que ce soit digne d’être défendu.

Le paternalisme européen

On le croyait révolu au nom d’un nouveau discours sur un partenariat égalitaire. Le voilà de retour. Telle est la belle leçon des dernières visites à répétition des ministres des affaires étrangères européens en Afrique. En moins de trois semaines, les pays du Sahel ont eu droit aux visites des ministres hollandais, français et allemand tous émissaires de Federica Mogherini, la chef de la diplomatie européenne, pour venir rappeler les engagements de La Valette aux Chefs d’Etat Africain. Passe encore le conseil des ministres Afrique Caraïbe Pacifique – Union Européenne tenu, dans la même période, à Dakar, avec ses beaux discours sur la migration et les Accords de Partenariat Economique au moment où les citoyens européens ne cessent de se mobiliser contre le Trans-Atlantic Free Trade Agreement (TAFTA).

L’Europe unie met la pression sur l’Afrique et en particulier les pays sahéliens et distribue les médailles. Le Sénégal est ainsi qualifié de « Bon élève » par les ministres européens pour sa politique migratoire. Quand pense les citoyens sénégalais ? Eux qui dépendent tant de leur diaspora avec 1 milliard 614 millions de dollars (plus de 921 milliards de Francs Cfa)[3] reçu l’année passée de ses migrants. Si les politiques en Europe restent tributaires de l’opinion de leur citoyen pour leur politique migratoire telle n’est pas encore le cas en Afrique. Les politiques migratoires dans les pays africains comme bien d’autres politiques d’ailleurs sont faites par les dirigeants pour mériter le titre de « Bon élève » décerné par l’Europe sans que l’opinion du peuple et la voix de la société civile africaine ne soit prise en compte. Triste démocratie pourtant vendu par l’Europe comme gage de son partenariat égalitaire avec l’Afrique. Le Niger est prié de devenir un « Bon élève » en contrôlant des migrants moyennant les 50 milliards de Franc Cfa du fonds fiduciaire européen alors qu’elle reçoit depuis cinq ans en moyenne 70 milliards de Francs Cfa[4] par an de sa diaspora sans compter toute l’économie que crée le passage des migrants. Le calcul est vite fait. A moins qu’on cède au chantage et qu’on lui donne un milliards d’euro ou que l’on fasse chanter ses dirigeants pour des problèmes de gouvernance et de démocratie.

La CEDEAO des peuples

Et comme toujours les pays africains se refusent de le jouer solidaire et en y allant seul au risque de faire briser le cou par une Europe qui se mobilise en force. On l’a bien senti avec le Ministre Koenders et on l’a encore mieux compris avec la visite conjointe des ministres allemand et français, Frank-Walter Steinmeier et Jean-Marc Ayrault. La Communauté Economique Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) semble jouer les observateurs face à ce ballet diplomatique incessant des acteurs européens dans les pays du Sahel préférant s’accrocher aux promesses d’argent à recevoir du fonds fiduciaire pour sécuriser les frontières. Le risque c’est de voir un peu plus la fragile union entre pays sahéliens et pays côtiers ouest africains se briser au jeu des intérêts. En effet la concurrence entre pays se développe pour pouvoir attirer le plus possible l’aide européenne au développement ou plutôt l’aide européenne contre la migration comme l’a rappelé Neven Mimica, le commissaire européen au développement, en marge de la réunion ACP-UE de Dakar[5].

La société civile multiplie, sans succès, les appels pour une CEDEAO forte pour un dialogue politique réel entre l’Europe et l’Afrique pouvant aboutir à des accords de libre mobilité comme c’est le cas entre l’Europe et plusieurs pays d’Amérique latine. La CEDEAO des peuples telle que proclamée à toutes les rencontres des chefs d’Etat de cet espace reste un vœu qui demeure au niveau institutionnel et qui tarde par se matérialiser par des instruments réels d’interaction entre les peuples ouest africain et les institutions de la CEDEAO. En effet tant que le parlement de la CEDEAO ne sera pas élu directement par les citoyens de l’espace, tant que toutes les décisions se prendront entre chefs d’Etat sans des référendums nationaux pour les valider et qu’un contrôle citoyen ne sera pas effectif sur le fonctionnement des institutions communautaires, la voix des peuples ouest africains ne sera jamais entendue. Il nous reste donc l’ultime outil des peuples sans voix : la mobilisation.

[1] http://www.actuniger.com/politique/11576-le-niger-a-besoin-d%E2%80%99un-milliard-d-euros-pour-contenir-les-flux-migratoires-ill%C3%A9gaux-vers-l-europe.html

[2] http://www.slate.fr/lien/30993/khadafi-regler-immigration-europe-5-milliards-euros

[3] World Bank remittances data april 2016

[4] World Bank remittances data april 2016

[5] http://www.euractiv.fr/section/aide-au-developpement/interview/mimica-emergency-trust-fund-for-africa-might-not-be-a-game-changer/

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